Regard sur le R&D industrielle dans les secteurs des transformations de matières

L’activité des services de Recherche & Développement dans l’industrie est historiquement focalisée sur le développement de nouveaux produits. Pourtant, dans de nombreuses organisations, la R&D tend dans les faits à intervenir en support d’autres services, techniques (industrialisation, production, travaux neufs,…), marketing, qualité ou autre.

Historiquement internalisée dans les grandes organisations à partir du début du 20è siècle en particulier dans les industries de la métallurgie, de la chimie ou de l’électrotechnique, la R&D a vu son rôle et sa place dans la séquence de développement de nouveaux produits évoluer au fil des décennies. Le développement des industries de formulation depuis les alentours des années 1930 étant très peu renseigné, il s’agit ici tout d’abord les principaux modèles identifiés dans la littérature de gestion, puis de partager quelques éléments d’observations et de réflexions plus spécifiques aux industries de transformation.

La place de la R&D dans les organisations industrielles selon les modèles théoriques

Première génération : Technical Push

Dans le développement de nouveaux produits de première génération, la R&D intervient en amont d’une chaine de développement séquentielle: elle mène des travaux de recherche appliquée, qui donnent ensuite lieu à des travaux de conception et d’ingénierie alors leur tour produits, mis sur le marché à travers les actions du marketing et des ventes. C’est le schéma traditionnel du Technical Push (plus ou moins explicite dans la valorisation des travaux de la recherche fondamentale).

R&D 1G

Deuxième génération : Market Pull

Certains travaux font remonter aux alentours des années 1960 l’émergence du schéma de développement produit de deuxième génération, dit « Market-Pull », partant non plus de travaux de recherche à industrialiser et commercialiser, mais au contraire d’une perception et analyse des besoins et attentes du marché et des consommateurs pour déterminer les développements de nouveaux produits. S’en suivent les actions de développement, fabrication et commercialisation.

R&D 2G

Troisième génération : modèle couplé de l’innovation

Les années 1970 voient se développer des modèles de développement de nouveaux produits de 3è génération, s’appuyant sur des approches d’innovation combinant génération d’idées en interne et exploration des connaissances à l’extérieur de l’organisation.

L’interactivité est centrale dans ces modèles, tant en interne, avec des allers-retours entre services, qu’en externe, pour recueillir des informations, identifier des besoins, opportunités et/ou options, technologiques ou autres, utiles pour l’organisation.

R&D 3G

Quatrième génération : modèle « parallélisé »

Certains travaux ont pu identifier, à partir des années 1990 dans l’automobile, des approches de développement de nouveaux produits de 4è génération, dans lesquelles les différents services agissent « en parallèle », avec des points de rdv réguliers et ajustement des actions aux avancées diverses.

Des « générations » ultérieures de modèles de développement de nouveau produit ont pu être identifiées, combinant généralement certaines spécificités des principaux modèles. Des modèles issus notamment de l’informatique (Agile, Lean Start-up,…) trouvent parfois à être transposés dans certains développement de des start-up.

De façon générale, la présentation de ces modèles en « génération » ne doit pas induire en erreur : si certains modèles semblent s’être développés puis généralisés à certaines époques, ils n’ont pas pour autant éclipsé les précédents.

 

R&D 4G

Les rôles de la R&D Industrielle dans les industries de transformation

Pour méritoire que soit une telle généalogie des modèles organisationnels du développement de nouveaux produits, elle peine toutefois à rendre compte de la variété concrète de leur mise en œuvre.

Selon le degré d’innovation des activités concernées, la nature des produits visés, la taille des organisations ou leurs ressources et compétences internes, certains modèles peuvent être préférés à d’autres. Certains modèles peuvent être appliqués pour certains produits et pas d’autres. Certains modèles perdurent aussi pour des raisons d’inertie organisationnelle.

D’autre part, ces modèles masquent le fait que sous une même dénomination, un service peut prendre en charge des actions sur des périmètres et avec des degrés de prise en compte de l’environnement tout à fait variable. Il nous semble intéressant de nous intéresser ici au rôle propre de la R&D industrielle, dont les fonctions sont susceptibles de ne pas se limiter aux traditionnels R, D et éventuellement I (pour innovation) mais aussi plus largement en support d’autres fonctions de l’organisation.

La R&D comme Service de développement (D) expérimental

Dans les industries de transformation, le cœur technique de développement d’un nouveau produit consiste le plus souvent à formuler, c’est à dire expérimenter et concevoir une recette de composition et de préparation, un produit présentant les propriétés d’usage visées. Ce travail de formulation est effectué dans l’environnement de laboratoire disponible -parfois en sous-traitance.

Pour l’ensemble des modèles évoqués plus haut, le rôle prévalent de la R&D est centré sur le développement « expérimental », de produits dont le brief marketing est établi. En pratique toutefois, selon les organisations et l’ampleur des démarches d’innovation (avec parfois des services de type R&I ou R&D&I), la R&D est susceptible de prendre en charge des démarches associées à l’étude de l’état de l’art ou de recherche quasi-fondamentale.

L’industrialisation de la fabrication du projet est quant à elle généralement assurée par un service dédié, qui travaille aux réglages des conditions industrielles de fabrication du projet formulé en R&D sur les installations pilote (ou parfois de production). On notera toutefois que certaines organisations intègrent aux actions de la R&D en interne les études d’industrialisation sur des pilotes parfois allant jusqu’à l’échelle industrielle.

La R&D comme maillon interactif dans la séquence technique

Dans certaines dynamiques de développement produit, proches de la logique du modèle de d’innovation de troisième génération, la R&D peut aussi être amenée à jouer un rôle actif dans les interactions avec l’industrialisation, la production ou même l’application chez le client pour les activités B2B.

La R&D est susceptible de jouer deux types de rôle souvent corrélés :

  1. prodiguer des conseils pour accompagner les prises de décision en industrialisation ou production
  2. Apporter son support en résolution de problèmes face auxquels les approches empiriques usuelles peinent

Ces rôles exigent des équipes R&D des connaissances, expertises et techniques dépassant ceux nécessaires pour la stricte formulation. Les complexes interactions entre matières et conditions de mise en œuvre, process ou application, sont souvent mal maîtrisées sur le plan scientifique, acculant la plupart à recourir aux approches empiriques et à un certain conservatisme des pratiques.

Un moyen courant pour la R&D d’apporter son support à l’aval de la chaîne est d’intégrer dans ses propres installations des équipements pilotes. Moins courantes à notre connaissance, le développement de méthodes prédictives, de modèles semi-empiriques ou de simulation et autres techniques constituent des leviers au fort potentiel pour renforcer les capacités de la R&D.

La R&D comme Centre-Support technico-scientifique

Outre les fonctions de Recherche « R » ou d’Innovation « I », le service de R&D est susceptible de jouer un rôle de centre-support plus large auprès des différents services de l’organisation liés aux questions techniques :

  • Le brief marketing peut par exemple être largement raffiné par une meilleure compréhension des mécanismes impliqués par l’expérience Client
  • La qualité comme le laboratoire analytique peut gagner à disposer de méthodes non-normatives mais adaptées aux spécificités des produits et procédés et leur positionnement
  • Les travaux neufs peuvent gagner à disposer de données fiables permettant de challenger les fournisseurs et d’éviter des surdimensionnements inutiles
  •  …

Ainsi, une R&D industrielle est susceptible d’assurer des missions-supports vis-à-vis des autres services de l’organisation -explorer, quantifier, évaluer, aider à la décision, etc.- au service d’objectifs centrés sur un développement technique particulier (reformuler un produit, résoudre durablement certains problèmes techniques récurrents,…) ou plus stratégiques (gagner en compétitivité, réduire sa consommation énergétique,…).

Sur ces questions, la R&D semble le lieu privilégié à la fois pour explorer des options mais aussi capitaliser pour l’ensemble de l’organisation des connaissances techniques avancées et spécifiques. Evidemment, il s’agit de trouver des façons d’éviter l’évaporation de ces savoir et savoir-faire dans les courants d’air du turn-over ou des départs en retraite.

R&D centre-support

Faire progresser sa R&D ?

L’analyse suggère qu’au-delà d’une orientation exclusive vers le développement de nouveaux produits, la R&D moderne a naturellement vocation à être le cœur scientifique battant de l’organisation industrielle, capable d’assurer la circulation dans un sens entre certaines circonstances empiriques gagnant à être traitées dans les pratiques de la science et dans l’autre les savoirs capitalisés en mesure d’alimenter les dynamiques techniques aux différents niveaux de la chaine de valeur de l’organisation, des travaux neufs au marketing.

Qu’est-ce que devenir le cœur scientifique battant de l’organisation industrielle ?  Tout service de R&D pouvant légitimement se dire scientifique, dans la mesure où les membres de son équipe sont de formation scientifique et que ses moyens sont ceux utilisés par les laboratoires académiques, comment progresser sur la voie de la science dans un contexte industriel  ?

Nous aborderons ces questions dans notre prochain article d’Industriologie.

Last Updated on 16 février 2023 by Vincent Billot